Les chefs des cinq principaux partis politiques ont à nouveau croisé le fer, jeudi soir, lors d'un débat en anglais, au lendemain de la joute qui a eu lieu en français mercredi. Les citoyens ont envoyé plus de 45 000 questions aux candidats.

L'économie a encore une fois monopolisé les échanges, en raison des turbulences qui ébranlent le secteur financier américain.

À l'image de mercredi, les quatre partis d'opposition ont critiqué la politique économique du gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Harper sur la défensive

Le premier ministre sortant s'est défendu en disant que le Canada ne connaît pas de crise similaire à celle en cours aux États-Unis. Il a vanté sa décision de réduire les taxes, ce qui aurait bénéficié tant aux familles qu'aux entreprises, selon lui. Stephen Harper a aussi affirmé que le problème ne se situait pas au niveau de l'économie réelle, mais des marchés financiers - ce qui lui a valu des critiques de tous les autres candidats.

Stéphane Dion

Stéphane Dion

Il a critiqué les propositions du chef libéral avancées lors du débat en français, estimant que Stéphane Dion avait, selon lui, paniqué.

M. Dion a de nouveau affirmé qu'il avait un plan applicable en 30 jours. Ce plan consisterait, entre autres, à consulter les autorités de régulations et à formuler un énoncé économique. Il assure croire au rôle du gouvernement dans l'économie et a voulu se placer en tant que centriste, entre le « socialisme » du néo-démocrate Jack Layton et le « laisser-faire-I-don't-care » de Stephen Harper. Il a reproché à ce dernier de ne pas avoir de plan, critique reprise par la chef du Parti vert, Elizabeth May, plus tard. Autre critique: il estime que le gouvernement conservateur n'a pas su maintenir une économie qui était en santé avant son arrivée.

Jack Layton

Jack Layton

Jack Layton a, lui aussi, reproché à M. Harper d'être inactif. « Soit vous vous en fichez, soit vous êtes incompétent », a déclaré le chef du NPD à l'intention de M. Harper. Il lui a reproché d'avoir baissé les taxes pour les compagnies pétrolières et les banques, des secteurs qui engrangent des profits, selon lui.

Du côté de Gilles Duceppe, il a reproché à M. Harper sa politique de laisser-faire. « Don't worry, be happy », a ironisé le chef du Bloc québécois, estimant du même souffle que le premier ministre sortant était proche du président américain. M. Duceppe a affirmé qu'il fallait soutenir le secteur manufacturier avant tout.

Elizabeth May s'est jointe au concert de reproches à l'encontre de Stephen Harper, estimant que ses baisses de taxes ciblaient de mauvais secteurs, notamment le secteur pétrolier. Elle estime qu'il faut accorder la priorité aux domaines manufacturier et forestier, ainsi que de créer des emplois « là où les gens vivent ». Elle a défendu la possibilité d'instaurer une politique d'achat canadienne - ce à quoi MM. Dion et Layton ont acquiescé.

Environnement: volée de bois vert contre Harper

Entamant le débat sur le thème de l'environnement, le chef libéral a expliqué que la stratégie de son parti était axée sur la taxation de la pollution et sur la création de richesses et d'emploi en encourageant l'économie verte.

Stephen Harper en a profité pour attaquer le Tournant vert des libéraux, notamment la taxe sur le carbone, qui nuirait, selon lui, aux consommateurs et à l'économie. Ce qui lui a valu un démenti immédiat de M. Dion, qui a précisé que son plan prévoyait au contraire des mesures fiscales alléchantes pour les familles.

Jack Layton, visiblement en bonne forme dans ce débat, a insisté pour faire payer les pollueurs et imposer des limites d'émissions de gaz à effet de serre (GES). Il a aussi plaidé pour la promotion de l'économie verte, tout en écorchant au passage Stephen Harper, qu'il a accusé d'accorder des largesses fiscales aux pétrolières, au grand dam de l'environnement.

Pour sa part, Gilles Duceppe a soutenu qu'un bon plan environnemental requiert le respect du protocole de Kyoto, la mise en place d'une bourse du carbone et l'institution d'une approche territoriale pour laisser une marge de manoeuvre aux provinces dans la gestion des dossiers environnementaux.

Elizabeth May

Elizabeth May

S'exprimant sur son thème favori, Elizabeth May a d'emblée souligné le caractère crucial de la question des changements climatiques. « On ne peut pas polluer gratuitement », a-t-elle dit, en s'adressant à Stephen Harper. La dirigeante du Parti vert a affirmé que le Canada gagnerait à imiter la Suède et l'Allemagne, deux pays qui ont pris le virage vert notamment dans leurs choix économiques.

Soumis à un feu nourri, Stephen Harper a eu du mal à se défendre. À peine a-t-il eu le temps, en effet, de rappeler que son gouvernement, même s'il a des cibles de réduction des GES plus modeste, a néanmoins instauré des objectifs rigoureux pour l'industrie des sables bitumineux. Il a aussi cité d'autres mesures prises par les conservateurs, dont la protection des parcs nationaux.

La santé auscultée

Au sujet de la santé, les candidats ont réitéré leurs promesses tenues lors du débat en français.

Stephen Harper

Stephen Harper

Lors de son temps de parole, M. Harper a affirmé qu'il avait toujours utilisé le système de santé publique et lancé une question aux autres: « êtes-vous allé dans une clinique privée pour vous faire soigner? ». Réagissant à ces paroles, Jack Layton a haussé le ton, affirmant que ce n'était « pas très joli ».

M. Harper a ensuite affirmé qu'il était déterminé à sauver le système de santé publique. Il a cité, entre autres, les efforts que son gouvernement aurait faits pour instaurer des dossiers médicaux électroniques.

Jack Layton lui a reproché d'avoir dirigé une coalition prônant l'abolition du système de santé publique en 1997, une critique que Mme May avait formulée lors du débat de mercredi.

Tant Jack Layton que Stéphane Dion veulent éliminer les dettes d'étude des étudiants en médecine, sous différentes conditions.

Le Nouveau parti démocrate propose de former 1000 médecins et 6000 infirmières supplémentaires par an, ainsi que de rembourser la dette des étudiants qui s'engagent en médecine de famille pendant 10 ans. Il reproche au gouvernement conservateur d'avoir sacrifié le domaine de la santé pour des baisses d'impôts aux entreprises.

Stéphane Dion estime nécessaire d'aider les provinces à ce sujet, tout en assurant vouloir respecter les compétences de ces dernières. Il s'inquiète de la moyenne d'âge des professionnels de la santé et des départs à la retraire conséquents. Mercredi, il avait proposé de rembourser les dettes d'étude pour les médecins qui s'engageraient à pratiquer en région pendant cinq ans.

Du côté du Parti vert, Elizabeth May a remis en question les décisions prises dans les années 1990, sans viser de parti en particulier. Elle croit nécessaire de réinvestir dans ce secteur et de soulager les étudiants en médecine de leurs dettes. Mme May a aussi critiqué plusieurs accords internationaux, dont l'ALENA, qui exercent des pressions sur le système de santé publique, selon elle. À la question de savoir si elle nationaliserait les cliniques privées, elle a répondu qu'il était nécessaire de veiller à l'application de la loi sur la santé.

Culture: Harper, ennemi de l'art?

Stephen Harper en a eu aussi pour son grade sur le thème de la culture, en raison des compressions décidées par son gouvernement dans les programmes culturels

Gilles Duceppe

Gilles Duceppe

Gilles Duceppe a parlé de décision idéologique. Il a relevé une contradiction entre le fait de reconnaître la nation québécoise et celui d'effectuer des coupes dans le financement de la culture. « Comment pouvez-vous reconnaître la nation du Québec et couper dans la culture, qui est l'âme d'une nation? », s'est interrogé M. Duceppe.

Réagissant à cette première critique, Stephen Harper a tenté de dresser l'autoportrait d'un homme féru des arts et de la culture. Et pour preuve, a-t-il dit, « je suis issu d'une famille qui aime les arts, mes enfants aussi ». Il a rappelé sa promesse d'accorder des crédits d'impôt pour les familles dont les enfants sont inscrits à des programmes artistiques.

Le premier ministre sortant a également soutenu que son gouvernement a augmenté le budget du secteur de la culture, comme celui de Radio-Canada. Les compressions ont touché, selon lui, des programmes qui ont prouvé leur inefficacité.

Insatisfait de la réponse de son adversaire, le chef libéral a accusé son rival conservateur de considérer les artistes comme des ennemis. Un gouvernement libéral, a-t-il promis, doublerait le budget du Conseil des arts et offrirait des crédits d'impôt pour l'industrie cinématographique.

Abondant dans le même sens, Jack Layton a reproché à Stephen Harper de « censurer la liberté d'expression », car, a-t-il ajouté, les victimes des compressions sont celles qui expriment des idées controversées. Le chef néo-démocrate a aussi souligné que beaucoup de gens, comme les techniciens et les stylistes, sont victimes de ces coupes budgétaires. Il a également accusé M. Harper d'aider les banques aux dépens des artistes.

Criminalité: deux visions s'affrontent

Sur la criminalité, Stephen Harper a défendu ses propositions sur les jeunes criminels. Il dit se préoccuper de la hausse de certains crimes, dont ceux dus aux gangs de rue. Le premier ministre sortant estime nécessaires des peines plus sévères pour les criminels récidivistes. Selon lui, 40 % des personnes assignées à résidence pour des infractions violent leurs conditions.

Les autres partis ont critiqué cette position. Elizabeth May veut interdire les armes de poing et semi-automatiques, à l'instar de Stéphane Dion mercredi. Ce dernier a estimé nécessaire de miser sur la prévention et chercher les causes de la criminalité, évoquant la drogue et la santé mentale.

M. Layton a estimé qu'il fallait donner aux provinces les pouvoirs d'interdire les armes. Son parti offrirait jusqu'à 400 $ par enfant aux familles pour aider les familles à « avoir un bon départ ».

Quant à Gilles Duceppe, il a noté que le Québec s'en sortait mieux au chapitre de la criminalité. Il croit qu'il faut mieux éduquer les jeunes et s'attaquer aux criminels endurcis.

Afghanistan: la guerre des tranchées

Comment justifier le retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan en 2011, alors que les talibans sont plus forts?

À cette question posée par un citoyen canadien d'origine afghane, Stephen Harper a rappelé que le prolongement de la mission canadienne en Afghanistan a été approuvé au Parlement, faisant allusion à l'appui des libéraux sur cette question.

Gilles Duceppe a prôné, lui, une meilleure collaboration avec les autres pays, reprochant au passage aux libéraux d'avoir donné leur bénédiction à la décision de prolonger la présence militaire canadienne sur le sol afghan.

Le chef bloquiste en a profité pour remettre sur la table le discours sur l'Irak plagié par les conservateurs pendant que M. Harper était chef de l'opposition. Visiblement mal à l'aise, le chef conservateur a tenté d'esquiver la question, mais c'était sans compter sur la ténacité de Gilles Duceppe. Ce dernier en a déduit que le Canada se serait engagé en Irak si M. Harper était à la tête du gouvernement.

M. Harper a en outre reconnu que l'invasion américaine de l'Irak avait été une erreur, mais il s'est gardé de renier sa position de l'époque. Le chef conservateur a déclaré que la guerre de George W. Bush était « absolument » une erreur. « C'est absolument clair. L'évaluation des armes de destruction massive s'est révélée incorrecte. C'est vrai », a-t-il admis.

Pour sa part, Stéphane Dion a dit que le Canada avait la responsabilité de rester en Afghanistan pour aider les Afghans à se prendre en charge. Mais, a-t-il ajouté, le Canada doit intervenir au Darfour après 2011.

Le chef libéral n'a pas échappé aux critiques à ce sujet. Son adversaire Jack Layton s'est plu à lui rappeler que son parti avait appuyé le prolongement de la mission canadienne. Le numéro un du NPD a affirmé qu'un gouvernement néo-démocrate consacrait plus d'argent à la lutte contre la pauvreté et à l'aide internationale, au lieu de dépenser dans la guerre.

Elizabeth May a souligné de son côté qu'il serait tôt de retirer de l'Afghanistan en 2011. Il faut, d'après elle, « stabiliser la situation » et se garder d'y voir une initiative dirigée par les États-Unis. La dirigeante écologiste a toutefois déploré qu'il y ait peu d'aide pour les pauvres.

Stephen Harper a dû préciser que la mission en Afghanistan n'est pas une mission américaine, mais une action de l'ONU. Il a ajouté que même le candidat démocrate Barack Obama s'est engagé à renforcer la présence militaire américaine en Afghanistan.

Les priorités des candidats

Un citoyen a demandé aux chefs politiques quelle serait leur priorité respective s'ils étaient élu. Stéphane Dion a mis l'accent sur la crise économique et les solutions qu'il propose. Il préparerait une mise à jour financière et protégerait les retraites et épargnes, affirme-t-il.

Son adversaire conservateur continuerait à gérer le Canada « en cette ère d'incertitude » et à baisser les impôts, si possible. Il privilégierait des mesures favorisant la compétitivité des entreprises.

Jack Layton affirme qu'il se concentrerait sur les citoyens, notamment les personnes âgées. Il propose de revenir sur les baisses d'impôts du gouvernement conservateur.

Notant qu'il ne sera pas premier ministre, Gilles Duceppe a dit qu'il demanderait au chef de l'État d'aider le secteur forestier en priorité.

Mme May a évoqué, de son côté, l'importance d'établir un système de représentation politique proportionnel.

Une question de confiance

Invités à s'exprimer sur la méfiance des électeurs vis-à-vis des politiciens, les cinq chefs ont tenté, chacun avec ses mots, de convaincre qu'ils sont dignes de confiance.

Gilles Duceppe a affirmé qu'il faut écouter attentivement les gens, avant de s'en prendre au chef libéral qui a failli à ses promesses, selon lui. Il a également contredit M. Harper quand il prétendait que son gouvernement avait offert un siège à l'UNESCO pour le Québec.

« Je suis une ancienne avocate devenue politicienne et je me demande si je n'ai pas dégringolé à un niveau à peine plus élevé que celui des paparazzi dans l'estime du public », a répondu Elizabeth May. Elle a expliqué que la perte de confiance est le résultat des promesses non tenues, tout en invitant les Canadiens à voter avec leur coeur.

Stéphane Dion s'est engagé de son côté à rétablir la confiance en tenant à ses engagements. Il a souligné que les conservateurs ne sont pas dignes de confiance, comme le pensent, a-t-il dit, les gens des Maritimes. L'allusion est faite au différend entre le gouvernement de la Nouvelle-Écosse et Stephen Harper sur le dossier du déséquilibre fiscal.

M. Dion a estimé qu'il faut travailler avec les autres et ne pas voir des ennemis partout. Il a rappelé que le premier ministre sortant a eu des problèmes avec Élections Canada, la Commission de la sécurité nucléaire et la Commission canadienne du blé.

M. Harper s'en est défendu et a rappelé que son gouvernement avait honoré tous ses engagements. Il a aussi précisé que ce sont les conservateurs qui ont mis fin aux contributions des compagnies dans le financement des partis.

Il répondait à Jack Layton qui l'accusait d'avoir abandonné sa promesse de mieux contrôler les pétrolières. Le chef néo-démocrate s'est présenté comme une la meilleure solution de rechange et comme le parti qui oeuvre pour les familles.

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