Côte d'Ivoire: Recipicé d'enrôlement

Des cartes d’identité sont déjà fabriquées. L’information a été glissée par le quotidien « Nord-Sud » dans son édition du samedi 13 mars dernier. Selon le confrère, la nouvelle a été mal accueillie par Désiré Porquet, le directeur de campagne du candidat Laurent Gbagbo de la commune du Plateau. C’est « un cas de fraude flagrante et un scandale », aurait-il déploré la fabrication de ces cartes à l’occasion d’une tribune d’échanges dont il était l’invité. Ainsi donc des cartes d’identité sont en fabrication alors même que la liste électorale définitive n’est pas encore prête. Des cartes ont-elles été vraiment fabriquées ? Sur quelle base ces cartes sont-elles produites ? Qui a ordonné leur fabrication ? Ce sont autant d’interrogations qui nous ont conduit à creuser davantage. Joint par téléphone pour vérifier l’information, le président de la Commission nationale de supervision de l’identification(Cnsi), le magistrat Yua Koffi, a dit ne pas être informé d’une telle initiative. « Nous n’en sommes pas informés, ni officiellement ni officieusement. Si une telle initiative était envisagée, on aurait dû être informés ; ça ne pouvait pas se passer à notre insu, puisque c’est nous qui sommes chargés de la supervision de tout le processus, de l’identification à la distribution des cartes. », a réagi le patron de la Cnsi. A l’Office national de l’identification (Oni), aucune réaction officielle. Cependant, une source proche de cette institution a indiqué avoir connaissance de l’information. « C’est sur les antennes de France 24 que nous avons appris que Sagem était en train de fabriquer des cartes. Mais pour en savoir davantage, adressez-vous au maître d’ouvrage, c’est-à-dire la Primature », nous a dit notre interlocuteur. Mais l’Oni a-t-elle été associée à la fabrication de ces cartes d’identité ? « Nous ne sommes pas concernés par cette opération. Quand nous avons reçu l’information comme vous, nous avons saisi le maître d’ouvrage ; ils nous ont répondu qu’ils ont fait ça pour gagner du temps », a renchéri notre source. Si les autres structures ci-dessus citées semblent ne pas être très informées sur le sujet, ce n’est pas le cas de la Primature. LAVERITE SUR CES CARTES En l’absence de réaction officielle, un membre du cabinet du Premier ministre, joint par téléphone, a apporté des éclaircissements, sous le couvert de l’anonymat. Selon lui, la décision de fabrication des cartes d’identité n’est pas une initiative solitaire et clandestine, puisqu’elle a été arrêtée de commun accord par les participants au dernier Cadre permanent de concertation (Cpc) tenu le 3 décembre 2009 à Ouagadougou. Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara avaient en effet décidé que les cartes d’identité et même les cartes d’électeur soient produites dès le mois de janvier 2010 et distribuées en février, en se plaçant dans la perspective de la présidentielle initialement prévue à fin février-début mars. Mais ils avaient également précisé que la liste électorale définitive devait avoir été elle aussi produite. « Afin de ne pas retarder le processus électoral, le Cpc recommande qu’en raison de la fiabilité du système, les erreurs matérielles sur les noms des électeurs ne soient pas un obstacle à la participation des détenteurs des cartes d’électeur à l’élection présidentielle. Il reste entendu que des dispositions devront être prises pour que les corrections soient portées sur ces documents, au plus tard quinze jours après le dernier tour de l’élection », est-il indiqué dans le communiqué final. C’est donc cette mesure que l’opérateur technique, chargé de la confection des documents électoraux, est en train de traduire en acte. Le hic cependant, c’est le fait que ces pièces d’identité soient produites alors que la liste électorale définitive reste à peaufiner, or c’est cette liste qui est censée dire qui, des personnes y figurant, a droit à une carte d’identité. Au dire de notre source proche de la Primature, c’est l’Etat de Côte d’Ivoire qui a demandé à Sagem de produire ces cartes, sur la base de la convention qu’elle a passé avec cet opérateur technique et qui porte sur la fabrication de 9 millions de cartes d’identité et d’électeur. Le corps électoral étant estimé à environ 9 millions. A ce jour, nous apprend notre interlocuteur, ce sont près de 5 millions de cartes d’identité qui ont été fabriquées en se fondant sur la liste blanche des personnes croisées positivement et donc supposées être des Ivoiriens. « Aucune de ces cartes fabriquées en France n’a été acheminée sur Abidjan. C’est à l’issue du contentieux en cours que ceux qui vont figurer sur la liste électorale définitive recevront leurs cartes. Les autres cartes restantes seront purement et simplement détruites. Il a été décidé de procéder ainsi pour anticiper et gagner du temps. » , a-t-il souligné. Il reste que l’information semble être encore tenue secrète, alors que la Commission électorale indépendante(Cei) avait été invitée à ce dernier Cpc « à entreprendre une vaste campagne d’explication de cette décision afin qu’elle soit bien comprise par la population ».

Assane NIADA

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